La souveraineté sur les métaux de la transition énergétique

Un défi pour l’industrie européenne

Les manifestations du réchauffement climatique sont désormais visibles. 2022 n’aura pas échappé à son lot d’évènements climatiques extrêmes : tornades, inondations, sécheresses et son corollaire d’incendies ont sévis sur l’ensemble du globe, engendrant des dégâts estimés à plusieurs centaines de milliards de dollars. La prise de conscience collective en matière de transition écologique est d’autant plus brutale qu’elle a été tardive. La nécessité d’une transition énergétique massive et rapide fait consensus.

Maintenant, si indispensable soit-elle, cette transition énergétique a sa contrepartie. Elle substitue à la dépendance aux énergies fossiles une autre dépendance, celle aux métaux qui lui sont essentiels. Le rapport Varin fait état d’une dépendance de l’Europe vis-à-vis de ses approvisionnements en métaux stratégiques à 70 %, et 100 % pour la France [1].

Dans une géopolitique recomposée autour de la Chine et des Etats-Unis, l’Europe et la France ont pris un retard certain et apparaissent en position de grande vulnérabilité. Le risque encouru par l’industrie européenne est majeur et demande une action urgente, coordonnée par les acteurs publics et privés. Cette action doit permettre de retrouver une  souveraineté industrielle, au moment où s’engage une compétition planétaire pour le contrôle des ressources.

Comment l’industrie européenne peut-elle s’adapter à la raréfaction de ressources dont elle est absente de la chaîne de valeur ? Quelles sont les opportunités pour les industriels afin de limiter leurs dépendances aux facteurs externes et de se démarquer des acteurs asiatiques dominants ? Quel est le rôle des législateurs étatiques et européens dans l’émergence de filières pour une souveraineté industrielle ?

L’industrie européenne à risque sur ses approvisionnements en métaux stratégiques et minerais rares

Une pénurie de métaux stratégiques pour l’industrie européenne

Afin de répondre aux enjeux de transition énergétique  et d’atteindre les objectifs fixés par l’Union Européenne dans le cadre du Pacte Vert et du programme « Fit for 55 », la décarbonation de nos sources d’énergie est essentielle. Nous en avons détaillé les enjeux dans notre publication « MACF : est-il temps d’accélérer les stratégies de décarbonation ? ».   

La transition énergétique implique des besoins accrus en ressources minérales : lithium, cobalt, manganèse, graphite et nickel pour les batteries, terres rares pour les aimants permanents des moteurs électriques, cuivre pour les câblages ou encore le zinc qui protège l’acier de la corrosion. La demande d’aluminium et aciers augmentera également drastiquement car les moyens de production pour la transition énergétique nécessitent beaucoup plus de matières premières que les sources d’énergies traditionnelles. L’éolien maritime, la source d’énergie renouvelable la plus gourmande en matière première, nécessite 14 fois plus de ressources que le gaz naturel pour générer la même quantité d’énergie. De même, une voiture électrique a besoin de 6 fois plus de métaux stratégiques qu’une voiture thermique.

« Dans les 30 prochaines années, nous extrairons autant que depuis le début de l’humanité ! » annonce Philippe Varin dans son rapport sur la Sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales.

La demande de métaux essentiels à la transition énergétique va ainsi exploser : x 4-7 lithium / x 3-5 nickel en 2030 par rapport à 2020 [2]. Les capacités d’extraction et de raffinage sont et seront insuffisantes à assurer la totalité de cette demande. Un déficit à hauteur de la moitié des besoins en lithium et en cobalt est prévu pour 2030, créant une tension explosive sur les approvisionnements et une spéculation importante sur les prix.

Les prix des matières premières en hausse et fortement volatils

Les prévisions de croissance durable de la demande soutiennent une tendance haussière des cours de ces matières premières. D'ici 2025, le prix du cobalt devrait presque doubler, par rapport à 2015, quand celui du lithium devrait être multiplié par 7 sur la même période [3][4].

Dans un contexte de tensions géopolitiques ajoutant de l’incertitude sur les approvisionnements en métaux stratégiques, les cours sont extrêmement volatiles et spéculatifs. Ces derniers réagissent aux moindres aléas des marchés et décisions politiques. 

Le prix du lithium a dépassé les 70 USD/kg en septembre dernier, en hausse de plus de 600 % par rapport au début de l’année 2020. Quant au cobalt, dont le prix a été multiplié par trois entre 2017 et 2018 pour atteindre le sommet de 90 USD/kg avant de chuter des deux tiers début 2019 [5]. Cette chute du cours est due à plusieurs facteurs parmi lesquels une spéculation à outrance sur le cobalt en lien avec les volumes futurs de véhicules électriques [6] et la réduction des aides à l’achat de véhicules électriques en Chine.

La Chine maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur

La domination des acteurs asiatiques, et chinois en particulier, sur les matières premières et les technologies liées à la transition énergétique pose un défi majeur pour les acteurs industriels européens. 

La Chine a investi massivement depuis une vingtaine d’années dans des projets d’extraction et de raffinage sur son territoire mais également à l’étranger, comme en Afrique et en Australie. Elle contrôle aujourd’hui plus de 40 % de la chaîne de valeur pour les métaux nécessaires à la fabrication de batteries. Dans une stratégie savamment planifiée, elle a par exemple développé une filière complète des Terres Rares, dont elle est en train de parfaire l’intégration en formant des champions industriels à la mesure d’une compétition globale appelée à s’intensifier. 

Si elle sécurise ses besoins propres, par sa mainmise sur l’ensemble de la chaîne de valeur, la Chine est surtout en mesure de réguler les cours du marché mondial à son avantage. Par sa capacité à inonder le marché d’une fourniture à bas prix, elle contrarie la rentabilité des investissements qui pourraient menacer sa position hégémonique.

Cette prédominance chinoise sur les matières et technologies liées à la transition énergétique représente un risque majeur pour une économie européenne dont les ressources essentielles ne sont plus assurées. Face à l’urgence, les lois du marché ne suffisent pas, pouvoirs publics et industriels européens doivent s’organiser pour reconstruire une souveraineté minérale devenue stratégique.

Une politique européenne pour développer une filière souveraine des métaux stratégiques

Un soutien financier et légal pour la transition énergétique

Les dispositifs particuliers liés aux Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (PIIEC) permettent aux autorités nationales et locales de subventionner directement des acteurs économiques privés par dérogation aux règles qui régissent habituellement le marché unique européen.

En 2019, une autorisation exceptionnelle de 3,2 Md€ de subventions, dont 960 M€ pour la France, a ainsi été accordée pour soutenir la fabrication de batteries au lithium-ion en Europe. Une seconde de 2,9 Md€ a été autorisée début 2021 pour développer la recherche et la fabrication des composants de batteries sur le sol européen. Enfin, un appel à projets sur les métaux critiques doté d’1 Md€ a été lancé dans le cadre de « France 2030 », pour favoriser l’émergence d’une filière couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur, dans l’attente d’un élargissement du PIIEC aux métaux constitutifs des batteries et des aimants permanents.

Le recyclage des métaux rares, élément clef pour les décennies à venir

Dans l’attente de substituts et d’innovations technologiques pour réduire notre dépendance, le recyclage des systèmes existants doit être envisagé. Il pourrait fournir 20 % des besoins d’ici 2030 avec un objectif à 40 % en 2035. Cette seconde source a par ailleurs l’avantage d’avoir une empreinte carbone inférieure à la source initiale.

Les activités de l’industrie extractive ont en effet des impacts environnementaux indéniables qu’il convient de limiter.

Transition écologique : une mine responsable, décarbonée et durable 

Si les exploitations minières et les sites de raffinage sont appelés à se développer, ils doivent gagner en acceptabilité sociale, qui fait aujourd’hui défaut à de nombreux projets d’infrastructure, y compris les plus vertueux comme l’éolien ou le solaire. En particulier, la question de la préservation de la biodiversité va devenir aussi cruciale que celle du climat. L'utilisation d'espaces naturels devra être répartie entre les besoins alimentaires, le respect de la biodiversité et l'accès à la chaîne de valeur énergie.

L'avenir des industries extractives passera immanquablement par un développement responsable, décarboné et durable sur l’ensemble de la chaîne de valeur. 

La transition énergétique de l’Europe, et la relation aux pays producteurs de minerais, seraient grandement compromises par le développement d’une industrie minière « sale », qui ne ferait qu’exporter la pollution au-delà des frontières communautaires.

L’Europe doit encore définir très précisément, par un label certifiable, ce qu’est une mine responsable en matière d’environnement ou d’éthique. Les industriels sont quant à eux appelés à un devoir de diligence et de traçabilité pour s’assurer de l’origine contrôlée de ces ressources.

Par exemple, depuis 2017 en Europe, une traçabilité doit être faite sur certains minerais et métaux rares tels que le tungstène, l’étain, le tantale et l’or (connus sous l’acronyme 3TG en anglais) pour s’assurer qu’ils ne viennent pas de zones de conflit.

Des mesures urgentes pour tout industriel

Dans un contexte mondial incertain ponctué de crises mettant sous tension les chaînes logistiques mondiales, il est important pour les entreprises européennes d’être résilientes et indépendantes pour leurs approvisionnements en matière première.

Optimiser les ressources grâce à l’écodesign et au développement de substituts

La première chose est d’optimiser l’utilisation de ces ressources devenues stratégiques pour l’entreprise par une consommation frugale en limitant l’emploi par conception (écodesign), en les recyclant et en trouvant des alternatives plus durables.

Des alternatives aux métaux stratégiques sont à l’étude. Renault et Valeo ont créé une joint-venture avec l’ambition de développer un moteur sans terres rares. Le remplacement du lithium par le sodium ou encore du graphite par le soufre sont des pistes crédibles. Cependant, aucune de ces solutions de substitution n’est envisageable à l’échelle avant 2035.

Minimiser les risques en diversifiant les sources d’approvisionnement

Afin de sécuriser leurs besoins, les acteurs doivent éviter toute dépendance commerciale et géographique. La crise Covid puis la guerre en Ukraine nous ont montré que le coût ne peut plus être le seul critère décisionnel dans le choix des fournisseurs. Il est ainsi nécessaire d’identifier les risques fournisseurs et géopolitiques sur les différentes ressources. Et en fonction du niveau de criticité, des alternatives seront établies pour éviter dans le futur toute rupture de la chaîne d’approvisionnement et des activités industrielles.

Implication des acteurs finaux dans la chaîne de valeur amont pour aider à son développement

Pour consolider les filières en métaux stratégiques, les industriels sont appelés à prendre des engagements auprès des opérateurs miniers via des accords d’achats futurs (exemple contrats d’offtake à 10 ans) ou des prises de participation. Ces engagements apporteront les garanties financières nécessaires aux investissements dans des capacités additionnelles d’extraction et de raffinage.

Références

[1] Sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales, Philippe Varin
[2] Metal for clean energy (Ku Leuven), IEA, PwC analysis
[3] The Cobalt Market 2021-2030F de CRUX Investor
[4] Global Lithium Market by Mordor Intelligence
[5] IHS S&P Global
[6] https://www.usinenouvelle.com/article/qui-pour-concurrencer-la-chine-dans-les-terres-rares.N849835
[7] https://www.bbc.com/afrique/monde-49317963

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