Pourquoi la dynamique des organisations peut empêcher de se réinventer ?

IA et innovation

Personne devant des serveurs
  • Publication
  • 19 déc. 2024

Cet article a initialement paru dans le magazine de l'ANDRH Hors-série spécial, décembre 2024.

Si l’ouverture grand public de ChatGPT en novembre 2022 signait la prise de conscience généralisée sur l’intelligence artificielle générative, la recherche offrait déjà de nombreuses réflexions pour les entreprises sur la capacité à construire et intégrer les innovations sur les concepts déjà anciens de « big data », « datamining », « machine learning » ou « intelligence artificielle » avec parfois des conclusions non-intuitives

C’est le cas de l’article de Marie-Alix Deval et Quentin Plantec, lauréats de l’un des quatre articles primés lors du prix académique de la Recherche en Management 2024. Ce prix est décerné chaque année par les cabinets de conseil réunis au sein de Syntec Conseil, en partenariat avec la FNEGE. L’article s’intitule « Big data as an exploration trigger or a problem-solving patch: the design and integration of AI-embedded systems in the automotive industry ».

Cet article publié en 2023 dans la revue à comité de lecture Technovation se fonde sur l’analyse de pas moins de 40 000 brevets déposés par 19 groupes historiques de l’industrie automobile entre 2005 et 2020. Ces analyses sont complétées par des entretiens avec experts et ingénieurs de l’un de ces groupes. La question sous-jacente est d’apprécier si les investissements dans la recherche par l’intelligence artificielle facilitent des innovations de rupture ou si elle s’inscrit dans l’amélioration continue. Parmi les nombreux intérêts de l’article figurent ses implications sur l’organisation et sur le management, implications qui ont tout leur intérêt pour la direction des ressources humaines. 

Intelligence artificielle, investissement et design organisationnel

4 % des brevets étudiés avaient trait à l’intelligence artificielle (IA). Au sein de ces brevets, 90% seulement ont porté sur de l’incrémental et non sur des innovations de rupture. Pourquoi ? Les auteurs articulent leur analyse sur le dilemme de March2 formulé en 1991. En substance, pour l’entreprise, comment concilier :

  • L’exploitation, l’existant, ce que l’entreprise connait, son amélioration continue et donc l’incrémental
  • L’exploration : le futur, « la recherche distante », l’innovation, la rupture ?

À ce titre, la façon dont est « logé » l’investissement dans l’IA a des conséquences. Que penser d’une démarche topdown dans laquelle l’entreprise commence avec des data scientists et met en place des équipes dédiées ? Faut-il privilégier une démarche bottom-up qui repose sur les ingénieurs et experts en postes dans la logique organique existante ?

L’autre question est liée au positionnement de l’investissement sur la chaine de valeur. 

Les processus de développement de l’industrie automobile sont particulièrement normés et structurés. Ceci a permis de réduire le « time-to-market » mais a eu pour effet, selon les auteurs, de focaliser les entreprises sur la recherche locale : l’exploitation. Des réponses organisationnelles ont été recherchées il y a 20 ans déjà, avec une séparation des process d’innovation, par exemple avec les AEU ( Advanced engineering units), des équipes dédiées à la recherche très amont). L’article montre que les investissements en IA ont été concentrés sur l’aval de la chaîne. L’IA n’est pas utilisée au moment des spécifications mais au moment de l’industrialisation. Le but assigné porte souvent sur des résolutions de problèmes ou d’économies de coûts dans un process de production connu et maitrisé.

À ce titre, le modèle automobile a rempli ses objectifs tout en permettant une montée en compétence et une appropriation des technologies d’IA par les ingénieurs.

Cependant, 9 fois sur 10, que ce soit pour les OEM ou pour les constructeurs, l’innovation améliore le préexistant, c’est à dire ne se met pas au service de l’exploration. Et même lorsqu’on regarde les innovations, celles-ci ne sont pas dues à la recherche distante via l’IA.

Sans doute y-a-t-il une difficulté rémanente à constituer des bases de données fiables et qualifiées, expliquent les auteurs. Les phases de vérification sont très chronophages tout comme l’interconnexion des données qui demandent une forte expertise. Se pose la question de ce que l’on pense pouvoir tirer de fiable et donc de focalisation de l’investissement. L’intelligence « artificielle » même générative continue à reposer sur un apprentissage cadré par l’homme.

Dans cette veine, le travail par interview de l’équipe de recherche de TBS rappelle des points importants du management. 

La question sous-jacente est d’apprécier si les investissements dans la recherche par l’intelligence artificielle facilitent des innovations de rupture ou si elle s’inscrit dans l’amélioration continue.

Mériadec Jonville,Associé, stratégie des organisations, Strategy& France

Intelligence humaine, adoption et management

L’article ouvre des perspectives intéressantes sur les enjeux humains permettant l’adoption des innovations qu’elles soient incrémentales ou de rupture.

Car, au-delà du positionnement de l’investissement au sein des organisations, un certain nombre d’enjeux sont évoqués avec beaucoup d’intérêt :

  • Comment sortir du syndrome de « ce qui n’a pas été inventé ici » ? Il y a en effet un frein culturel, et presque identitaire, à se saisir de l’innovation
  • Comment faciliter la motivation individuelle ? On sait que les pistes ne manquent pas pour les entreprises : prix, concours, rémunération, rayonnement à l’extérieur… Ces facteurs n’appartiennent pas qu’aux équipes dédiées et ont besoin de tout le support et de tous les leviers RH
  • Quelle vision ont les acteurs de leur propre rôle ?
  • Quels sont les effets cachés de la propriété, notamment dans des industries avec des imbrications très fortes avec leurs fournisseurs ? La question de l’usufruit de la propriété intellectuelle est posée avec acuité.
  • Quelles influences du partage des responsabilités et des silos sur la chaîne de valeur ?
  • Et, en prolongation des réflexions, quelle place donnée au ROI, même dans un contexte de technologie disruptive ?

On pourrait poursuivre les questions autour de la structure RH : quid des délégations d’autorité, des objectifs annuels, des boucles de contrôle, de la collaboration, etc. ?

Un levier clé ressort néanmoins clairement : l’importance de la formation et de la méthode. C’est là, pour les auteurs, une des implications de l’article parmi les plus importantes.

Il est vertueux que les experts conduisent le process d’innovation3. Une des conditions de succès est donc de donner aux praticiens les briques de savoir manquantes. Une autre est de casser les silos avec la dimension par nature transverse de l’IA.

On le voit, la capacité d’une entreprise à innover, à faire évoluer son modèle de création de valeur doit interroger certains prérequis RH.

Nul doute que sur ce chemin du changement, le DRH pourra capitaliser sur l’appétence des salariés. Dans l’ensemble, ils plébiscitent l’IA et 28 % des collaborateurs déclarent déjà l’utiliser sur une base hebdomadaire. 

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Mériadec Jonville

Mériadec Jonville

Associé, stratégie des organisations, Strategy& France

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