C’est le cas de l’article de Marie-Alix Deval et Quentin Plantec, lauréats de l’un des quatre articles primés lors du prix académique de la Recherche en Management 2024. Ce prix est décerné chaque année par les cabinets de conseil réunis au sein de Syntec Conseil, en partenariat avec la FNEGE. L’article s’intitule « Big data as an exploration trigger or a problem-solving patch: the design and integration of AI-embedded systems in the automotive industry ».
Cet article publié en 2023 dans la revue à comité de lecture Technovation se fonde sur l’analyse de pas moins de 40 000 brevets déposés par 19 groupes historiques de l’industrie automobile entre 2005 et 2020. Ces analyses sont complétées par des entretiens avec experts et ingénieurs de l’un de ces groupes. La question sous-jacente est d’apprécier si les investissements dans la recherche par l’intelligence artificielle facilitent des innovations de rupture ou si elle s’inscrit dans l’amélioration continue. Parmi les nombreux intérêts de l’article figurent ses implications sur l’organisation et sur le management, implications qui ont tout leur intérêt pour la direction des ressources humaines.
4 % des brevets étudiés avaient trait à l’intelligence artificielle (IA). Au sein de ces brevets, 90% seulement ont porté sur de l’incrémental et non sur des innovations de rupture. Pourquoi ? Les auteurs articulent leur analyse sur le dilemme de March2 formulé en 1991. En substance, pour l’entreprise, comment concilier :
À ce titre, la façon dont est « logé » l’investissement dans l’IA a des conséquences. Que penser d’une démarche topdown dans laquelle l’entreprise commence avec des data scientists et met en place des équipes dédiées ? Faut-il privilégier une démarche bottom-up qui repose sur les ingénieurs et experts en postes dans la logique organique existante ?
L’autre question est liée au positionnement de l’investissement sur la chaine de valeur.
Les processus de développement de l’industrie automobile sont particulièrement normés et structurés. Ceci a permis de réduire le « time-to-market » mais a eu pour effet, selon les auteurs, de focaliser les entreprises sur la recherche locale : l’exploitation. Des réponses organisationnelles ont été recherchées il y a 20 ans déjà, avec une séparation des process d’innovation, par exemple avec les AEU ( Advanced engineering units), des équipes dédiées à la recherche très amont). L’article montre que les investissements en IA ont été concentrés sur l’aval de la chaîne. L’IA n’est pas utilisée au moment des spécifications mais au moment de l’industrialisation. Le but assigné porte souvent sur des résolutions de problèmes ou d’économies de coûts dans un process de production connu et maitrisé.
À ce titre, le modèle automobile a rempli ses objectifs tout en permettant une montée en compétence et une appropriation des technologies d’IA par les ingénieurs.
Cependant, 9 fois sur 10, que ce soit pour les OEM ou pour les constructeurs, l’innovation améliore le préexistant, c’est à dire ne se met pas au service de l’exploration. Et même lorsqu’on regarde les innovations, celles-ci ne sont pas dues à la recherche distante via l’IA.
Sans doute y-a-t-il une difficulté rémanente à constituer des bases de données fiables et qualifiées, expliquent les auteurs. Les phases de vérification sont très chronophages tout comme l’interconnexion des données qui demandent une forte expertise. Se pose la question de ce que l’on pense pouvoir tirer de fiable et donc de focalisation de l’investissement. L’intelligence « artificielle » même générative continue à reposer sur un apprentissage cadré par l’homme.
Dans cette veine, le travail par interview de l’équipe de recherche de TBS rappelle des points importants du management.
La question sous-jacente est d’apprécier si les investissements dans la recherche par l’intelligence artificielle facilitent des innovations de rupture ou si elle s’inscrit dans l’amélioration continue.
L’article ouvre des perspectives intéressantes sur les enjeux humains permettant l’adoption des innovations qu’elles soient incrémentales ou de rupture.
Car, au-delà du positionnement de l’investissement au sein des organisations, un certain nombre d’enjeux sont évoqués avec beaucoup d’intérêt :
On pourrait poursuivre les questions autour de la structure RH : quid des délégations d’autorité, des objectifs annuels, des boucles de contrôle, de la collaboration, etc. ?
Un levier clé ressort néanmoins clairement : l’importance de la formation et de la méthode. C’est là, pour les auteurs, une des implications de l’article parmi les plus importantes.
Il est vertueux que les experts conduisent le process d’innovation3. Une des conditions de succès est donc de donner aux praticiens les briques de savoir manquantes. Une autre est de casser les silos avec la dimension par nature transverse de l’IA.
On le voit, la capacité d’une entreprise à innover, à faire évoluer son modèle de création de valeur doit interroger certains prérequis RH.
Nul doute que sur ce chemin du changement, le DRH pourra capitaliser sur l’appétence des salariés. Dans l’ensemble, ils plébiscitent l’IA et 28 % des collaborateurs déclarent déjà l’utiliser sur une base hebdomadaire.